Il n’y a pas si longtemps, dans un monde très différent d’aujourd’hui, où nous pouvions jaser entre amis autour d’un verre, je discutais de l’incapacité de notre société à se mettre en action pour protéger l’environnement et agir contre le réchauffement climatique. J’émettais l’hypothèse que cette situation s’expliquait en partie par le fait que l’écrasante majorité des gens avait toujours connu un monde stable. Bercés dans cette réalité depuis notre enfance, nous ne pouvons pas imaginer que les choses tournent mal, au risque de détruire les fondements de notre civilisation. Nous repoussons donc sans cesse les échéanciers, en se disant que la Terre continuera de tourner, comme d’habitude. Qu’il y aura toujours du temps devant nous pour agir. Cette stabilité a été grandement ébranlée dans les dernières semaines. Pour la première fois depuis la fin de la 2e guerre mondiale, un événement mondial vient chambouler la société dans son ensemble. Cette pandémie est un moment historique qui changera très certainement notre perspective sur le monde, et qui aura un impact sur le futur de la planète.
Initialement, en voyant les images radar au-dessus de la Chine qui montraient une nette diminution de la pollution atmosphérique, je me suis dit que c’était peut-être une bonne nouvelle pour la planète. Une chance pour la nature d’avoir le temps de digérer un peu tous les déchets que nous lui envoyons. Mais en y pensant bien, j’ai commencé à avoir peur du “après”. Car si l’eau des canaux de Venise est redevenue limpide depuis quelques temps, il faudrait être naïf de penser qu’elle ne redeviendra pas trouble lorsque les touristes afflueront de nouveau après cette crise. Pourtant, cette situation singulière est une occasion rêvée de remettre en question notre mode de vie. De repartir sur de nouvelles bases. Plusieurs modifications temporaires apportées à nos habitudes auraient tout intérêt à devenir permanentes. Considérer le bien collectif, favoriser l’achat local, opter pour le télétravail (ce qui diminue le trafic et réduit les émissions des GES), pour nommer que celles-là.
Malgré toutes ces avenues positives, mes craintes sont énormes. J’ai l’impression qu’après avoir été jugulé pendant des mois, le consumérisme retrouvera une force inouïe lorsque la vie reprendra son cours normal. Un effet rebond qui pourrait nous faire reculer de plusieurs années dans la lutte aux changements climatiques et à la protection de la biodiversité. Déjà, le G7 a promis un retour à une croissance “plus forte que jamais”. Mais à quel prix? Remettre aux calendes grecques les engagements environnementaux? Subventionner encore davantage les pétrolières et autres industries polluantes qui auront été affectées par la pandémie? Plusieurs entreprises vertes pourraient souffrir des bas prix du pétrole. Sans oublier la réaction des citoyens, qui après avoir été privés de leur liberté pendant une longue période, auront d’autres priorités que de faire attention à leurs choix de consommation. J’espère me tromper, car recommencer à saccager l’environnement comme avant nous placerait encore plus à risque de vivre une autre pandémie. Que ce soit à cause de la perte des habitats naturels des animaux sauvages causée par la déforestation ou du fait de vivre dans des mégapoles de plus en plus polluées qui favorise la contagion. Pire encore, la fonte du pergélisol, accélérée par le réchauffement planétaire, pourrait libérer des virus congelés depuis des milliers d’années, contre lesquels nous n’avons aucune immunité. Espérons que nous retiendrons des leçons de cette crise pour éviter d’en vivre d’autres, qui pourraient s’avérer beaucoup plus sévères. Si nous pouvons développer des vaccins contre les virus, il n’y aura aucune façon de freiner l’emballement climatique une fois le point de non-retour atteint.